Sermon du 25 février 2024:

L’automne dernier, j’ai fait partie d’une commission de sélection, et on m’a demandé de me concentrer sur « l’intégrité ». Le thème de l’intégrité a reçu beaucoup d’attention ces derniers temps. Il existe un désir croissant de personnes et d’action intègre, bonne et morale, suite à des situations où le contraire s’est produit. Nous aspirons à des personnes fiables et intègres.

Mais il n’est pas si simple de juger quelqu’un sur son intégrité. Parce que c’est quand même une tâche lourde : établir que quelqu’un d’autre est intègre. Et pourriez-vous le dire de vous-même dans toutes les situations ? Je pense que cela peut prendre toute une vie pour devenir et demeurer intègre.. Parce qu’on ne fait pas toujours ce qu’on attend de nous. On dépasse parfois ses propres limites. On n’est pas toujours un, avec nous-même. Surtout pas quand on est sous pression. Mais, on peut y grandir, dans l’intégrité. On peut s’y développer par essais et erreurs.

Et c’est ce dont parle l’histoire lue dans l’Évangile de Matthieu. de comment il est possible, de grandir en fiabilité et en intégrité. La première étape pour y parvenir est d’apprendre à vous connaître. Vous devez d’abord savoir qui vous êtes. Jésus vient de le découvrir dans l’histoire de Matthieu. Cela s’est produit lors de son baptême dans le Jourdain. Alors une voix vint du ciel disant : tu es mon fils, mon bien aimé. Un moment profond. C’est là que Jésus trouve son identité. Il est le « Fils de Dieu », c’est-à-dire : l’homme, rempli de son Esprit. L’éclat miroir de la lumière de Dieu. Ce n’est pas une tâche facile. C’est comme s’il le ressentait immédiatement. Comment peut-il être fidèle à cette vocation lorsque les choses se tendent ? Si sa lumière fait mal aux yeux des gens ? Et qu’ils préfèrent ne pas le voir ? Comment peut-il rester lui-même ? Jésus se retrouve dans le désert. Il y reste quarante jours et quarante nuits. Quarante jours et nuits pour apprendre ce que signifie sa vocation. Pour se rapprocher de lui-même. Comment peut-il être fidèle à sa vocation, même lorsque les choses deviennent tendues ?

Et en effet : la situation devient tendue. Car après quarante jours et nuits de faim et de solitude, le diable vient lui rendre visite. Or il ne faut pas faire de représentations trop cinématographiques de cette figure, du diable. Le mot « diable » signifie très simplement : Celui qui disperse. Celui qui sème la confusion. Ce n’est pas quelque chose de visible. Vous ne voyez rien. Ce n’est pas une créature. Cela se passe à l’intérieur de nous. Le diable est comme une voix qui fait douter. C’est aussi ce qui se passe dans l’histoire de Matthieu. Le diable dit : N’es-tu pas le fils de Dieu ? Vous n’êtes pas obligé d’avoir faim dans cette position, n’est-ce pas ? Dis-moi que ces pierres deviennent du pain ! Et cela arrivera !

Cela ne semble pas du tout déraisonnable. Et pendant un instant, on peut sentir que Jésus pourrait suivre les suggestions. Mais ensuite il pense à une parole de Moïse. Moïse, qui était aussi appelé fils de Dieu. Moïse a passé quarante ans dans le désert. Encore quarante ! Ces deux histoires sont des récits parallèles.. Et chez Moise aussi, il y avait la faim. Les gens avaient faim. Mais que leur dit alors Moïse ? « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Et Jésus dit non, à la voix qui le trouble intérieurement. Je ne ferai pas ce que tu dis. Après cela, à deux reprises le diable essaie de le tenter. N’aimeriez-vous pas être sûr de Dieu ? Et troisièmement : n’aimeriez-vous pas avoir le pouvoir ?

On peut se demander ce qu’il y aurait de mal à ce que Jésus obtienne de la nourriture pour lui-même, s’il avait faim. S’il voulait un peu de sécurité auprès de son Dieu. Et aimerait avoir un certain pouvoir sur terre. Est-ce que ce serait si grave ? Serait-il infidèle à lui-même et à sa vocation ?

Tout bien considéré, ce sont trois besoins humains fondamentaux. Car c’est cela qui compte : le besoin de nourriture, de sécurité et de sens de vie.

Je n’ai compris ce qui se passait réellement dans ces trois tentations que lorsque j’ai lu un commentaire à leur sujet dans un livre de Martin Buber. Son livre le plus célèbre s’intitule « Ich und Du » . Il y dit qu’une personne peut vivre de deux paires de mots. La paire de mots Ich- Du. Et la paire de mots Ich-Es.  Son Ich est radicalement différent dans la paire de mots Ich-Du que dans la paire de mots Ich-Es. Dans le couple de mots Ich-Du, le Je est ouvert et réceptif. Cela peut surprendre. Le Je veut rencontrer l’autre. Tout peut arriver. Dieu peut même arriver, dit Buber. Parfois pendant un moment. C’est différent, dans la paire de mots Ich-Es. Là, le Je est fermé. Il veut juste s’approprier quelque chose. Il veut utiliser quelque chose. Il y a de la vie dans la paire de mots Ich-Du, dit Buber. Dans la relation. Et cela ne s’applique pas à la paire de mots Ich-Es.

Retournons aux tentations dans le désert. Jésus y est presque transféré au couple de mots Ich-Es par la voix confuse du diable, de par sa voie intérieure. Parce qu’il lui demande s’il n’a pas besoin de nourriture. S’il ne veut pas de certitude. Et pas de pouvoir. Trois choses ! Trois fois un Es, « ça ». Mais Jésus n’est pas convaincu de le faire. Il reste fidèle à sa vocation. Bien sûr, il veut manger. Mais sa loyauté envers les gens qui n’ont rien à manger passe avant tout. Et oui, avoir une certitude quant à votre relation avec Dieu serait bien. Mais cela n’est pas possible par rapport à l’Éternel. Car Dieu est de loin supérieur à nous. Et bien sûr, avoir de l’influence est tentant. Mais Jesus n’est pas obligé d’avoir cela pour lui-même. Car il est appelé à raconter une histoire qui transcende sa propre petite vie. Ce qui se passe dans la vie intérieure de Jésus est donc très reconnaissable. Cela pourrait nous arriver aussi. Il y a peut-être une voix qui essaie de vous mettre sur une voie différente, pour ainsi dire. De la relation Ich-Du : À la relation Ich-Es. Et c’est exactement à ce moment-là que votre fiabilité est en jeu.

J’ai lu cela dans un livre de Per Petterson. Cela se passe en Norvège. Ce livre s’appelle deux routes. Et il s’agit de deux amis. Tous deux viennent de foyers brisés. Ils se soutiennent mutuellement d’une manière inconditionnelle. Leur amitié compte beaucoup pour eux. Un soir, ils vont patiner ensemble. Ils ont une conversation intime. Notre amitié est pour la vie, se disent-ils. Nous nous défendrons toujours les uns les autres. Et ne nous décevrons jamais. Et soudain, la glace se brise. Pas une fois, mais plusieurs fois. Et pas seulement un peu, mais de manière tonitruante. Et puis un ami pousse l’autre pour se mettre de côté le plus rapidement possible. Il veut vivre. Et il met son ami de côté pour ça. C’est un moment qui détruit l’amitié, Ensuite, ils n’ont pas le courage d’en parler. Pour restaurer l’amitié. Tant de questions demeurent. À propos de l’incident lui-même. Et comment ils ont géré cela.

Écoutez, dit Matthieu, c’est pourquoi il est bon qu’une personne aille occasionnellement dans le désert comme Jésus. Quarante jours. Ou quarante minutes. Et de prendre un temps de réflexion. Pour réaliser ce qui est réellement important dans la vie.  Que la relation Je – Tu est plus importante que la relation Je – Cela. Car ce n’est qu’en en étant pleinement conscient que l’on peut faire le bon choix, même lorsque les choses deviennent tendues. Et on peut alors être fiable dans nos amitiés. Intègres ! Au travail. Dans notre place dans la société.

Amen.